Inventaire de gestes parasites & tendres parades

édition de protocoles – feuillets détachables (objet participatif) francais et anglais
700 exemplaires
132 pages
offset noir et blanc, 8 x 12 cm

+ texte original de : Florian Gaité

traductrice : Margaret Besser / typographes : Jerôme Knebusch et Philippe Tytgat (Nouveau)

Graphisme : Morgan Fortems

version française épuisée

Calendrier
2 novembre 2023 : lancement / envois et correspondances – lectures performées / présentations  / interventions participatives en espace public /ateliers

18 novembre, à 17h : Discussion “À l’abordage” dans le cadre de l’exposition DUO naissance du collectif (jusqu’au 22.12.2023) à La Terrasse espace d’art 57 boulevard de Pesaro 92000 Nanterre. “Quelles complicités l’artiste initie avec le public et l’espace public ? Comment aborde-t-il la rencontre dans son processus de création ?” avec Mickaël Phelippeau, danseur chorégraphe, artiste de l’exposition DUO et Marine Thévenet, artiste et directrice du CIFAS (Bruxelles).

début 2024 : présentation à Utopiana Genève, au Syndicat Potentiel à Strasbourg et à Archipel Butor à Lucinges / Ouverture : Composition de podcasts.

Ce que désirent les indésirables

Le parasitisme est un savoir-faire. Il n’est pas donné à tout le monde de se faire accepter à une table, de s’incruster dans un foyer ou d’infiltrer un corps sans éveiller de soupçons. Il n’y a rien d’évident à faire le départ entre l’hostilité et l’hospitalité[1], à organiser le monde selon ses besoins sans passer pour un égoïste. Marianne Villière en a fait tout un art. En bon parasite, elle sait qu’elle doit consentir aux conventions pour pouvoir les subvertir, mimer l’autre pour le faire devenir autre et manier la langue pour initier ses révolutions. 

Le parasite est un artificier. Terroriste et artiste tout à la fois. 

Il plastique le monde pour engendrer des cosmogonies. 

Les gestes qu’imagine Marianne Villière requalifient les identités et les écosystèmes pour en neutraliser l’autorité[2]. Performer l’espace pour le libérer de ses fonctions et de ses usages, performer le corps pour en faire une zone libre et marginale. Faire de son imagination l’instrument de constantes hétérotopies. Sa poétique des comportements est une douce manipulation qui désarme les dispositifs de mort et de sécurité, et les convertit en formes de vie.

Le parasite vit de métamorphoses : de soi, de l’hôte et du lien qui les unit.

Il est la relation même[3]. Complémentarité, substitution, instrumentalisation, réciprocité, exploitation et mutualisation : il oscille sans cesse entre symbiose et aliénation. Avec cet inventaire, Marianne Villière agit pour une nouvelle économie relationnelle qui soigne les solidarités interpersonnelles comme interspécistes. Baiser le végétal et porter la voix des oiseaux, se reconnecter avec le céleste puis sentir son corps propre : avec l’affection de ces petits mots qu’on adresse aux proches, elle en appelle aux amitiés dissidentes, de celles qui n’ont que le goût du monde en partage. 

Poétique souveraine, politique de la gratuité

Ce qui résiste a parfois la tendresse des matières molles. L’air de rien, les innocentes parades de Marianne Villière allient l’indiscipline des enfants espiègles à la révolte des mutin·es. Saboter les dispositifs de contrôle, contre-performer, laisser des traces inutiles ou être improductif·ve : son inventaire en appelle à déjouer toutes les injonctions à capitaliser. Contre les politiques immunitaires, celles qui rêvent d’éradiquer les indésiré·es, de contenir leurs détours, leurs errances et leur goût des bas-côtés[4], il s’agit ici de ne jamais filer droit. Se frayer un chemin de travers est même le luxe de tou·tes insubordoné·es : à nous alors d’être somptuaires, futiles, et d’enfin bifurquer.  — Florian Gaité


[1] Jacques Derrida crée le néologisme « hostipitalité » pour exprimer cette difficulté : accueillir quelqu’un chez soi, c’est toujours prendre le risque de faire entrer un ennemi, il n’y a pas d’accueil de l’autre sans une certaine violence, sans menace de soi (Jacques Derrida, De l’hospitalité, avec Anne Dufourmantelle, Paris, Calmann-Lévy, 1997. 

[2] Au sens où la parasite peut, pour servir son intérêt, induire des changements corporels chez l’hôte (taille, couleur, odeur…) ou modifier les relations à son environnement naturel au point de réorganiser tout l’écosystème dans lequel il vit.

[3] Voir Michel Serres (Le Parasitte, Paris, Grasset, 1980) qui le décrit comme un maître de la transformation et de la communication, liant intimement relation et invention. Il en fait par ailleurs une figure de l’artiste. 

[4]  « Les politiques immunitaires (…) n’ont pas saisi la possibilité d’une altérité qui perturbe, hétérogénéise et, par la même occasion, rend vivant en réinventant des bifurcations, de l’imprévisible et de la diversité propre aux formes du vivant » et « Le capitalisme est sans doute la forme la plus aboutie du parasitisme : il exploite et rend malade. (…) Mais le parasitisme peut aussi devenir le lieu d’une destruction collective de l’impérialisme, du capitalisme ou du racisme, en inversant son programme immunitaire, par une nécessaire désobéissance. » (Marion Zilio, Le Livre des larves, Paris, PUF, 2020).